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Quand Bastien Vivès s'était lancé en 2012 dans un projet de manga à la française, avec ses amis Yves Balak et Mickaël Sanlaville, le petit monde de la BD n'avait pu s'empêcher de ricaner. "Casse-gueule", "infaisable", "trop ambitieux", avait-on pu entendre. Pour certains bien-pensants du neuvième art, c’était même une injure que l’auteur de Polina ou du Goût du chlore, deux albums magnifiques mais très cérébraux, aille se commettre dans une telle aventure, comme si la sous-culture du manga ne le méritait pas.
Deux ans et quatre tomes - de 216 pages chacun ! - plus tard (un cinquième opus est annoncé pour le 11 juin), Bastien Vivès est en passe de réussir son pari. Non seulement lui et ses compères, rencontrés sur les bancs de l’école parisienne d'animation des Gobelins, tiennent le rythme, mais leurs albums sont d'une qualité rare pour ce type de production.
A l’origine, le pitch de la série n’avait pourtant rien de très original : Adrian Velba, un jeune garçon de douze ans qui en paraît huit, souhaite participer à un tournoi d’arts martiaux, dans un monde à mi-chemin entre Ivanhoé et Mad Max. Mais il est si chétif, toujours dans les jupes de sa mère, une jolie boulangère prénommée Marianne, que personne ne veut faire équipe équipe avec lui. Jusqu'à ce que surgisse un mastard que personne ne connaît et qui le prend sous son aile...
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Sous l’apparence d’un shonen manga classique, (ces albums destinés aux jeunes garçons, avec force combats, quête initiatique, bons sentiments et tout et tout), la bande à Vivès réalise une série complexe, foisonnante, subversive, bourrée de références et avec tout un tas de petits décalages qui lui donnent une vraie personnalité. Les scènes les plus marquantes ne sont d'ailleurs pas celles où il y a le plus d'action. Bien sûr, les combats sont chorégraphiés et les méchants vraiment méchants. Mais là où les auteurs sont les plus convaincants, c'est lorsqu'ils prennent le temps de vivre aux côtés de leurs personnages, dans des scènes d'apparence anodine. Dans le tome 4, paru mi-mars, la page où Marianne Velba lave les cheveux de son fils, tout en l'assurant qu'il est "un grand combattant", pourrait sembler nunuche de prime abord. Elle est juste bouleversante.
Preuve de la confiance accordée au trio d’auteurs, l’éditeur Casterman s’est engagé à publier au moins douze tomes de la série. Un premier cycle de six épisodes devrait se clore à la fin de l’année. Côté ventes, Lastman s’impose doucement dans les librairies : depuis la sortie du premier volume en mars 2013, 60.000 exemplaires ont été écoulés. Un joli score, mais pas un raz de marée non plus. "Nous sommes exactement là où nous avions prévu d'être, tout se déroule comme prévu", rassure Didier Borg, maître d’oeuvre du projet chez l’éditeur.
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Les albums sont il est vrai des ovnis dans la production actuelle : proches du manga par certains aspects (dessin en noir et blanc, couverture souple, format réduit), franco-belge par d'autres (sens de lecture traditionnel, attention portée aux décors, pas d’yeux gigantesques). Les libraires eux-mêmes ne savent pas toujours dans quel rayon les classer. Le prix de vente, fixé à 12,50 euros, déroute aussi des lecteurs habitués à acheter moins de 7 euros le dernier One piece ou Fairy Tail. "Cela peut paraître cher comparé à un manga japonais vendu en France mais nous n'avons pas la même économie : Lastman est une création 100% tricolore, il ne s'agit pas d'achat de droits déjà amortis au Japon", nuance Didier Borg.
Cet anticonformisme n'empêche pas Lastman de séduire à l'étranger. Un an après la sortie du premier album dans l’Hexagone, les droits ont déjà été vendus en Italie (le tome 1 vient d'y être publié), en Espagne, en Allemagne, en Pologne, en Corée du Sud... Même les Etats-Unis ont succombé. "Nous sommes très contents car nos partenaires jouent le jeu : ils vont publier leurs albums à l'identique des français, avec des éditions collector, des stickers en cadeau à l'intérieur...", explique le créateur du label Kstr, la pouponnière de talents de Casterman.
Plus surprenant, le Japon se montre également intéressé. "Les deux plus gros éditeurs du pays sont venus nous voir, deux fois déjà, ils hallucinent un peu", se réjouit Didier Borg. Selon lui, c'est autant l'aspect technique que les albums qui les intéresse. "Ils veulent comprendre comment on a pu sortir 600 pages en un an car ils n'ont pas l'habitude de travailler avec une palette graphique ou Photoshop, ils utilisent encore des crayons et des pinceaux..." Pas sûr d'ailleurs qu'une édition nipponne voit le jour tout de suite. "Les Japonais ne sont pas habitués à importer des albums, c'est un peu contre-nature pour eux", reconnaît Didier Borg.
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Preuve de l'emballement autour de l'univers Lastman, un dessin animé est également en gestation. "On a signé une convention de développement avec France Télévisions. Un pilote sera réalisé d'ici à la fin de l'année, pour une diffusion éventuelle sur France 4." Un jeu vidéo est également sur les rails. "Un développeur travaille déjà à 100% sur le projet au sein du studio des auteurs et un autre est en cours de recrutement."
Une version de démonstration a déjà été réalisée, pour s'assurer de la jouabilité de l'univers développé par Vivès, Balak et Sanlaville. Mais pas question de faire ça tout seul : Casterman n'en a ni les moyens ni les compétences. "Nous sommes à la recherche d'un partenariat avec un éditeur de jeux vidéos, nous faisons calmement le tour du marché", précise l'éditeur.
Seule certitude : les auteurs ne se posent aucune limite. Lors du lancement du premier tome, Bastien Vivès & co assumaient tranquillement un parallèle avec l’univers de Star Wars développé par George Lucas. "Même si Lastman n’est pas encore le succès qui va les faire vivre jusqu’à la fin de leurs jours, ce projet peut être celui de leur vie, ou tout du moins du début de leur vie", estime Didier Borg. Sans aller jusque-là, les trois compères se sont engagés à travailler encore un an à temps plein sur Lastman.
*Lastman, tome 4. Par Bastien Vivès, Balak et Mickaël Sanlaville. KSTR. 204 pages. 12,50 euros